Démythificateur : Un régime public national d’assurance-médicaments

On peut sentir, au Canada, une poussée croissante à assurer, à tous et une fois pour toute, la couverture des soins de santé, de la naissance à la mort. La première étape est de faire en sorte que chaque personne puisse payer ses médicaments sur ordonnance grâce à la création d’un régime public, national et complet d’assurance-médicaments.

Au Canada, une personne sur dix n’a pas les ressources financières pour continuer à prendre ses médicaments, tels que prescrits et, 10% n’ont pas de régime privé ou public d’assurance-médicaments. Selon une étude qui a comparé onze pays développés, le Canada affiche le deuxième taux le plus élevé de personnes mentionnant ne pas avoir les moyens de prendre leurs médicaments, tels que prescrits. Ainsi, les personnes du Canada doivent sauter des doses, partager leurs médicaments ou aller à l’urgence pour recevoir les médicaments pour lesquels ils ont déjà une ordonnance. Dans ce démythificateur, nous allons examiner les mythes communs entourant le régime public national d’assurance-médicaments.

Ce document a été soutenu par une subvention du Fonds de plaidoyer public Ken and Debbie Rubin. Il résume les présentations faites lors de la conférence de politique de la Coalition canadienne de la santé intitulée « Une prescription pour l’équité: Un régime national d’assurance-médicaments » qui a eu lieu à Ottawa en avril 2017. Cliquez ici pour la version .pdf.

1. LE CANADA N’A PAS LES MOYENS DE PAYER UN RÉGIME PUBLIC NATIONAL D’ASSURANCE-MÉDICAMENTS

En fait, le Canada n’a pas les moyens de se passer d’un tel régime. Nous payons le deuxième prix le plus élevé au monde pour les médicaments brevetés, et le prix le plus élevé pour les médicaments génériques. Le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires et les hôpitaux négocient séparément le prix des médicaments avec les compagnies pharmaceutiques. C’est ignorer le principe le plus fondamental de l’économie d’échelle pour réduire les prix. L’achat en masse et le pouvoir d’achat combiné permettent de négocier de meilleurs prix avec les fabricants de produits pharmaceutiques et de médicaments génériques.

L’augmentation du coût des médicaments dépasse souvent toutes les autres dépenses du secteur de la santé. En 2014, quarante-trois pour cent (12,5 milliards $) des dépenses en médicaments prescrits ont été assumées par le secteur public, soit une augmentation de 9,2 % par rapport à l’année précédente. Cela signifie de plus en plus de dollars des contribuables dépensés, à chaque année, pour les médicaments prescrits, et non pas pour payer d’autres services sociaux nécessaires.

Les paiements des médicaments par les assureurs privés se chiffrent à 10,4 milliards $ en 2014. La plupart des régimes privés d’assurances sont fournis par les employeurs. Cela signifie des salaires plus bas pour les travailleurs et des contraintes quand vient le temps de négocier d’autres avantages sociaux. La même année, les demandes de remboursement pour les médicaments prescrits totalisaient vingt-deux pour cent (6,5 milliards $).

Si le Canada avait un acheteur unique pour les médicaments, et qui partagerait le coût avec les provinces, les territoires, les employeurs et les contribuables, cela permettrait d’économiser 11,5 milliards $ par année. De plus, nous pourrions fournir des médicaments à tous.

2. JE NE BÉNÉFICIERAIS PAS DUN TEL RÉGIME CAR MES MÉDICAMENTS SONT DÉJÀ COUVERTS GRATUITEMENT PAR MON EMPLOYEUR

Les régimes d’assurance-médicaments offerts par les employeurs couvrent 60 % des personnes au Canada. Peu de ces régimes couvrent la totalité des coûts, la plupart sont assortis de franchises et de quotes-parts et, souvent, le paiement maximum est plafonné. Ces coûts sont évidents aux yeux des travailleurs. Or, ce qui n’est pas transparent, ce sont les augmentations de salaires ou d’avantages sociaux qui ne se font pas en raison de la croissance rapide des coûts des régimes d’assurance-médicaments.

Avec un régime public national d’assurance-médicaments, les personnes pourraient changer d’emploi sans craindre de perdre leur assurance-médicaments qui couvre aussi les membres de leur famille. Lorsqu’il y a perte d’emploi, séparation du couple ou départ à la retraite, les personnes n’auront plus à se soucier d’avoir perdu l’accès aux médicaments dont elles ont besoin.

3. UN NOUVEAU MÉDICAMENT EST UN MEILLEUR MÉDICAMENT

Selon des études récentes, seulement un (1) nouveau médicament sur 10 offre un avantage thérapeutique par rapport aux médicaments déjà sur le marché. Les compagnies pharmaceutiques peuvent demander un prix élevé pour tous les nouveaux médicaments, sans concurrence sur le marché, pour la durée de leur brevet de 20 ans. Cela motive fortement les compagnies à développer des médicaments qui sont très similaires à ceux déjà sur les tablettes et de trouver de nouvelles façons de les utiliser. Un petit changement aux ingrédients contenus dans le médicament ou à son utilisation signifie un nouveau brevet de 20 ans.

Les nouveaux médicaments n’ont pas besoin d’être meilleurs que ceux déjà sur le marché, ils ont seulement besoin d’être meilleurs qu’un placebo. Souvent, les nouveaux médicaments ne sont pas meilleurs que les médicaments déjà sur le marché, ils coûtent seulement plus cher.

4. UN RÉGIME PUBLIC VA EMPÊCHER LES GENS D’AVOIR ACCÈS À D’IMPORTANTS NOUVEAUX MÉDICAMENTS

Entre 1990 et 2009, 4 à 5 % des nouveaux médicaments sur le marché pendant quatre périodes différentes de cinq ans (1990-94, 1995-99, 2000-04, 2005-09) ont été retirés des tablettes après avoir été approuvés par Santé Canada. Comme nous l’avons mentionné au démythificateur n° 3, souvent, les nouveaux médicaments ne sont pas meilleurs que les médicaments déjà sur le marché. Au Canada, les prescripteurs sont souvent incapables d’obtenir l’information complète sur les nouveaux médicaments parce que Santé Canada juge que ces renseignements sont de nature exclusive. Pour savoir quels médicaments ont des avantages thérapeutiques importants et ne présentent aucun risque pour les patients, les prescripteurs ont besoin de plus de renseignements.

Il faudrait mettre en place un groupe composé de prescripteurs et de patients. Ce groupe serait chargé d’examiner les nouveaux médicaments et, en se basant sur les données probantes, déciderait si ces médicaments doivent être recommandés à Santé Canada afin de les ajouter à un formulaire national.

Un régime public national d’assurance-médicaments ne limiterait pas l’accès aux nouveaux médicaments mais assurerait l’accès aux médicaments sans risque.

5. SI NOUS NE PAYONS PAS LES PRIX LES PLUS ÉLEVÉS, NOUS POURRIONS NE PAS AVOIR ACCÈS AUX MÉDICAMENTS ADVENANT DES PÉNURIES

Un régime public national d’assurance-médicaments pourrait contribuer à prévenir les pénuries de médicaments sur ordonnance au Canada. Les pays ayant un tel régime, par exemple la Nouvelle-Zélande, ont ajouté des clauses dans leur contrat avec les compagnies pharmaceutiques assurant qu’ils auront un accès prioritaire advenant une pénurie.
Le Canada n’a présentement aucune entente pour l’accès prioritaire.

6. LE RÉGIME PUBLIC NATIONAL D’ASSURANCE-MÉDICAMENTS DEVRAIT AVOIR POUR MODÈLE LE RÉGIME PROVINCIAL DU QUÉBEC ET COMPRENDRE L’ASSURANCE PRIVÉE

Le système d’assurance-médicaments du Québec repose sur des régimes d’assurance privés. Ces régimes privés sont souvent assortis de franchises élevées, de quotes-parts, de plafond par rapport aux remboursements, et ces assureurs privés veulent seulement des clients en santé qui vont diminuer les probabilités d’avoir des membres qui coûteront très cher au régime. Les personnes ayant des antécédents médicaux ont de la difficulté à obtenir une couverture privée et, s’ils l’obtiennent, c’est souvent à des taux inabordables.

Malgré le régime obligatoire d’assurance couvrant les médicaments prescrits, 12 % des Québécois n’ont pas les moyens financiers de prendre leurs médicaments tels que prescrits. Un régime public national d’assurance-médicaments devrait avoir pour modèle l’accès aux soins médicaux et hospitaliers au Canada, i.e. tous auront accès aux médicaments dont ils ont besoin et sans aucun frais.

7. SI NOUS DONNONS MOINS D’ARGENT AUX COMPAGNIES PHARMACEUTIQUES, NOUS ALLONS PERDRE DES EMPLOIS EN RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT (R. ET D.) AU CANADA

Voilà un argument mis de l’avant depuis longtemps par les compagnies pharmaceutiques. En 1987, le Canada a conclu une entente avec les compagnies pharmaceutiques selon laquelle nous allions augmenter de 10 ans les droits de propriété intellectuelle. En échange, les compagnies pharmaceutiques devaient consacrer 5 à 10 % de leurs profits pour la recherche et le développement au Canada. En 1993, le Canada a, encore une fois, prolongé la durée des brevets, cette fois à 20 ans.  Mais, depuis 1987, les dépenses des compagnies pharmaceutiques en R. et D. au Canada ont, en fait, diminué. En 2014, les profits des compagnies pharmaceutiques investis en R. et D. se chiffrent à 4,3 %, soit le niveau le plus bas jamais vu. Ils ont augmenté de seulement 0,1 % en 2015.  La durée prolongée des brevets ne s’est pas traduite en une augmentation des dépenses en R. et D. au Canada.

Le Royaume-Uni a un régime universel d’assurance-médicaments. On y trouve deux compagnies pharmaceutiques mondiales qui investissent au moins £4 milliards en R. et D. au Royaume-Uni à chaque année.  En fait, en 2016, GlaxoSmithKline et AstraZeneca ont investi £7,5 milliards en R. et D., ce qui représente 45 % de toute la R. et D. faite par les compagnies au Royaume-Uni cette année-là. 

8. GRÂCE À LA COUVERTURE DES MÉDICAMENTS ONÉREUX PAR LES PROVINCES ET LES TERRITOIRES, ON EST COUVERTS AU BESOIN

Toutes les provinces et tous les territoires offrent des régimes couvrant les médicaments onéreux mais la couverture varie énormément d’une province à l’autre, et on observe des différences par rapport aux primes, aux quotes-parts et aux franchises. Cela crée de grandes inégalités dans tout le Canada car l’accès et le coût abordable dépendent de l’endroit où vous vivez et, par conséquent, plusieurs personnes sont encore incapables de payer leurs médicaments.

9. OBLIGER LES GENS À PAYER UNE SOMME MODIQUE AIDERAIT À FINANCER UN TEL RÉGIME ET LIMITERAIT LA SURUTILISATION

On a démontré qu’une quote-part de seulement 2 $ peut décourager les gens et les empêcher d’acheter les médicaments dont ils ont besoin.12 L’Irlande du Nord, l’Écosse et le Pays de Galles ont des régimes publics d’assurance-médicaments sans quotes-parts ou franchises. Si nous voulons assurer l’accès, à tous, aux médicaments dont ils ont besoin, il faut éliminer, autant que possible, les obstacles financiers.

10. NOUS POUVONS TOUT SIMPLEMENT CHANGER LES PAYS COMPARATEURS POUR ÉCONOMISER, NOUS N’AVONS PAS BESOIN DE RÉGIME UNIVERSEL

Le Canada s’appuie sur les pays comparateurs qui paient les prix les plus élevés (comme les É.-U. et l’Allemagne) pour établir ses propres prix pour les médicaments. En utilisant, comme pays comparateurs, des pays qui paient moins signifierait réduire d’environ 4,5 milliards $ le prix des médicaments au Canada. Toutefois, on est vraiment loin d’un système universel qui permet l’accès aux médicaments à tous. La mise en œuvre d’un régime public, universel et complet d’assurance-médicaments pourrait presque tripler ces économies et permettrait à chaque personne d’avoir les médicaments dont elle a besoin.

11. L’ACCÈS AUX MÉDICAMENTS EST UN PRIVILÈGE

En 2000, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que l’accès aux médicaments était un droit de la personne.

12. LA GRATUITÉ DES MÉDICAMENTS VA SIGNIFIER UNE POPULATION SUR-MÉDICAMENTÉE

Un argument similaire a été invoqué au Canada lorsqu’on a présenté, pour la première fois, les soins de santé publics. Si les soins médicaux et hospitaliers sont gratuits, tous y auront recours tout le temps. Or, pour la grande majorité de la population, une visite chez le médecin ou à l’hôpital ne fait pas partie de leurs activités favorites. Nous faisons confiance aux médecins pour qu’ils contrôlent l’accès au système de soins de santé et en assurent l’accès aux personnes qui en ont besoin. Il faut faire la même chose avec les médicaments sur ordonnance. Nous nous attendons à ce que les prescripteurs prescrivent de façon responsable.

Ce qui suit n’est pas anecdotique : les études portant sur les systèmes ayant éliminé les obstacles financiers aux médicaments prescrits démontrent peu d’augmentation par rapport à l’usage. Depuis 2007, le Pays de Galles a éliminé toutes les quotes-parts pour les médicaments. Depuis, le Pays de Galles a observé une augmentation minimale des ordonnances et, selon les chercheurs, cette augmentation n’est pas nécessairement un résultat direct de l’abolition des quotes-parts.13

Si un régime public national d’assurance-médicaments était mis en place de façon adéquate, le Canada pourrait observer une diminution des ordonnances. Actuellement, certaines populations telles les aînés sont sur-médicamentée.14 En donnant de meilleurs renseignements aux médecins prescripteurs, et en utilisant les données probantes pour éclairer la consommation de médicaments, on pourrait diminuer les médicaments mal prescrits. La BC Therapeutics Initiative est un exemple de comment une meilleure information peut mener à une diminution des ordonnances.

13. LES PROVINCES ET LES TERRITOIRES PEUVENT LE FAIRE ENSEMBLE. LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL N’A PAS DE RÔLE À JOUER

Les provinces et les territoires collaborent présentement à la création d’un formulaire commun des médicaments et pour l’achat en masse de certains médicaments. Or, pour faire les changements importants et nécessaires, mettre en place de nouvelles normes de sécurité des médicaments, et mettre en application les principes et les critères de la Loi canadienne sur la santé afin d’assurer l’égalité d’accès à tous, les provinces et les territoires ont besoin du leadership fédéral. Le gouvernement fédéral est aussi un acheteur majeur de médicaments prescrits au Canada car il assure la couverture des Premières nations, de la GRC, des détenus sous responsabilité fédérale, des militaires, des anciens combattants et des réfugiés. Pour capitaliser par rapport à nos économies d’échelle, tous les ordres de gouvernement (provincial, territorial et fédéral) doivent participer.

Vous pouvez lire plus à propos d’un Régime public national d’assurance-médicaments ici.

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